Pourquoi il est urgent d'expliquer l'économie...

Trois Français sur cinq trouvent que l'information économique n'est pas compréhensible. La faute aux journalistes, aux économistes... et aux Français eux-mêmes. De cette incompréhension naît une terrible défiance.

de Jean-Marc Vittori (Les Echos du 18/11/2014)

Soudain resurgit un souvenir ancien. Un souvenir d'élève qui va à l'école en traînant des pieds parce qu'il sait qu'il va ramasser une sale note. C'était samedi matin, lors des Journées de l'économie (Jeco), qui ont rassemblé des milliers de passionnés à Lyon, en allant assister à une session intitulée « Parle-t-on mal d'économie ? ». La vraie question étant : « Parle-t-on mal d'économie? dans les médias ». C'est un jeune maître de conférences de l'université Lyon-II, Martin Fournier, qui en est à l'origine. Ce spécialiste de l'évolution des revenus en Chine s'est interrogé un beau jour, en entendant les chaînes d'information répéter en boucle : « La Banque centrale européenne a réduit son taux directeur de 25 points de base.  » Qu'est-ce que ça peut bien vouloir signifier ? Lui-même était bien en peine de le dire. Au sein de son laboratoire de recherche, le Gate (Groupe d'analyse et de théorie économique), il a donc décidé de monter 

une enquête nationale , sous la forme d'un sondage, pour questionner le rapport des Français à l'information économique. Ses résultats méritent d'être connus.

(photo: Les Echos)

D'abord, l'enquête confirme que l'économie intéresse les Français - c'est du moins ce que disent plus de la moitié d'entre eux. Selon 

un autre sondage commandé par la Banque de France, cet intérêt est croissant? mais 3 Français sur 5 trouvent que l'information économique n'est pas compréhensible. La radio leur paraît particulièrement hermétique - Fournier n'est donc pas le seul. Quand on les questionne sur les intervenants les plus compréhensibles, ils mettent au premier rang les économistes (40 %), puis les journalistes (33 %), la société civile (19 %), les banquiers (6 %) et les politiques (3 %). Sans surprise, ils préfèrent l'information de proximité (territoire, emploi, pouvoir d'achat) aux nouvelles sur la finance ou la macroéconomie, qu'ils ont du mal à comprendre.

Cette information économique peu compréhensible a deux effets redoutables. Elle est décourageante : quand ils tombent sur des informations obscures, 44 % des Français passent à autre chose. Même si le sujet est au coeur des choix politiques (en 2012, l'économie était le sujet du tiers des propositions de Nicolas Sarkozy et de la moitié de celles de François Hollande). Pire encore : cette incompréhension crée de la défiance, en particulier parmi les moins favorisés. 56 % des sondés font peu ou pas confiance aux informations économiques diffusées dans les médias et 58 % remettent en question l'honnêteté de l'intervenant quand ils ne comprennent pas !

D'où vient cette mésintelligence ? Il y a au moins trois explications : les journalistes, les économistes? et les Français. Commençons par 

les journalistes . Parmi ceux qui suivent l'économie, certains ignorent ses rouages de base. Faute d'avoir pu devenir journalistes politiques, sportifs ou culturels, ils se sont formés sur le tas avec plus ou moins de succès. D'autres, qui avaient un solide bagage, l'ont perdu en route en devenant des vedettes. Quant aux écoles, elles ont longtemps donné le primat aux techniques du métier - même si elles commencent à bouger. Les jeunes professionnels sont certes mieux formés. Mais, hors de la presse spécialisée, les rédactions en chef ont rarement de l'appétit pour l'économie. Quand elles s'y intéressent, c'est souvent avec une lecture purement politique. Dernier point : dans la compétition numérique qui se renforce chaque jour, la plupart des médias font pour l'instant la course au flux d'informations (comme la baisse des taux de la BCE) sans chercher à les faire comprendre.

Deuxième explication, les économistes. Beaucoup d'entre eux n'ont aucune envie de venir expliquer l'économie à un large public. Parce qu'ils travaillent dans le secteur public, où ils sont soumis à un devoir de réserve (Trésor), parce qu'ils travaillent à l'université, où la priorité absolue est de publier dans les revues pointues pour ne pas périr, parce qu'il est plus simple de s'adresser seulement à des « sachants ». Quelques autres ont tellement pris goût aux micros et caméras qu'ils n'ont plus du tout le temps de faire de l'économie. Et puis leur discipline est un gigantesque chantier. Les grands modèles généraux d'explication du monde ont failli. Sur des questions essentielles comme l'effet du salaire minimum, de la rigueur budgétaire ou de l'ouverture des frontières, il est impossible de trouver le moindre consensus parmi eux. L'essor des travaux empiriques aboutit à des recommandations précises et souvent moins débattues, mais à chaque fois dans un contexte bien particulier. Difficile de faire de la pédagogie sur des débats sans fin !

Troisième explication, les Français eux-mêmes. Car nous avons collectivement un rapport bien particulier à l'économie. L'Etat étant au coeur de la construction de l'identité française, nous nous méfions du marché. Le banquier Jean Peyrelevade décortique cette mécanique dans son dernier livre, « Histoire d'une névrose, la France et son économie ». La croissance par tête ayant été parmi les plus faibles des pays avancés depuis vingt ans, nous sommes parmi les plus pessimistes au monde sur l'avenir économique. A en croire 

la dernière étude du Pew Research Center , 17 % des Français estiment que la situation économique va s'améliorer dans l'année à venir, contre 19 % des Grecs, 25 % des Italiens, 26 % des Palestiniens et des Allemands, 35 % des Américains, 36 % des Pakistanais, 63 % des Brésiliens, 80 % des Chinois. Seuls les Japonais sont plus pessimistes. Mal expliquée, mal pilotée, l'économie est aussi mal vécue. Ce cercle vicieux est autoentretenu. Pour le casser, il n'y a qu'une solution : formation et pédagogie. Retroussons-nous les manches. 

Jean-Marc Vittori

 

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Face à cette incompréhension et contre cette terrible défiance, la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Strasbourg vous invite à la conférence de Jacques GENEREUX le jeudi 27 novembre.

Economiste hétérodoxe, adepte résolu d'une approche pluridisciplinaire des sciences humaines et sociales, il nous livrera son expertise de l'actualité économique et tentera de mettre un terme à de nombreuses idées reçues en économie. 

 

L'Association des Masters en Economie de Strasbourg (AMES) a le plaisir d'accueillir Jacques GENEREUX, maître de conférences des universités et professeur à Sciences Po Paris, le jeudi 27 novembre 2014 à 18h à la Faculté de Sciences Économiques et de Gestion de Strasbourg (amphi 4).  

Une séance de dédicaces de son livre « Jacques GENEREUX explique l'économie à tout le monde » se tiendra à la suite de la conférence. Entrée libre. Venez nombreux.